February 27, 2018

Par : Marilynn Rubayika

Le 21 mars 2016, M. Jean-Pierre Bemba Gombo a été déclaré coupable et condamné, trois mois plus tard, à 18 ans de prison pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par les soldats du Mouvement de libération du Congo en République centrafricaine. Ce faisant, la Cour pénale internationale a rendu son premier jugement sur base de la responsabilité du chef militaire et du supérieur hiérarchique. Cette décision a été portée en appel. Suite aux audiences tenues en janvier 2018, M. Bemba attend le verdict de la chambre d’appel. 


Pour les victimes des crimes sexuels, pour les défenseurs des droits de l’Homme ainsi que pour tous ceux qui sont engagés, de près ou de loin, dans la lutte contre les violences sexuelles, l’affaire Bemba est de très grande importance. Le 21 mars 2016, pour la première fois depuis le début de ses travaux, la Cour pénale internationale condamnait quelqu’un pour, parmi plusieurs autres chefs d’accusation, le viol en tant que crime contre l’humanité et le viol en tant que crime de guerre et ce, en application du principe de la responsabilité du chef militaire ou du supérieur hiérarchique.1 Non satisfaits de la peine, pour le bureau du procureur, et du jugement pour les avocats de M. Bemba, les deux parties ont porté la décision en appel et c’est ainsi que les audiences du procès en appel se tenaient à La Haye, du 9 au 11 janvier 2018.2

En première instance, M. Jean-Pierre Bemba Gombo a été reconnu coupable et condamné à 18 ans de prison pour les crimes commis par les soldats de « l’Armée de libération du Congo » (ALC), la branche armée du « Mouvement de libération du Congo » (MLC) dont il était le président. À l’étape de la confirmation des charges, la Cour a déterminé qu’alors alliés aux forces armées de la République centrafricaine, il existait des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que des soldats du MLC avaient commis des viols constitutifs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre en République centrafricaine (RCA), du 26 octobre 2002 ou vers cette date, au 15 mars 2003.3 Si par le passé la Cour avait déjà statué sur la responsabilité pénale individuelle pour les crimes relevant de sa compétence, c’était bien la première fois qu’elle jugeait un cas de responsabilité pénale des chefs militaires.

L’article 28 du Statut de Rome stipule qu’un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu’il ou elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces.4 Outre l’existence des crimes relevant de la compétence de la Cour, la position de chef militaire ou de supérieur hiérarchique et le lien de commandement ou d’autorité et de contrôle effectifs, deux autres conditions s’imposent pour engager cette responsabilité pénale. Dans un premier lieu, il faut démontrer que le chef militaire ou le commandant effectif savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes.5 Ensuite, la preuve doit permettre de démontrer que le chef militaire ou le commandant effectif n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites.6

Dans son jugement du 21 mars 2016, la Chambre de première instance III a conclu que toutes les conditions pour engager la responsabilité pénale de M. Bemba en vertu de l’article 28 étaient remplies. En ce qui concerne le concept du contrôle effectif, la Cour avait conclu à la qualité de M. Bemba en tant qu’une personne exerçant une autorité et un contrôle effectifs du fait de son pouvoir de prendre les décisions en dernier ressort, de son pouvoir de nomination, de promotion et de révocation et de sa prise sur les finances du MLC.7 À ces éléments s’ajoute le fait qu’il bénéficiait de systèmes de communication qui lui permettaient de rester en contact avec les commandants sur le terrain, de recevoir d’eux des avis d’ordre opérationnel et technique et d’être apte à prendre des mesures opérationnelles.8

Le procès en appel

Lors du procès d’appel qui a débuté le 9 janvier 2018, cette dernière conclusion a été contestée par les avocats de la défense. Selon eux, M. Bemba n’étant pas sur le terrain, ce contrôle revenait plutôt aux commandants opérationnels.9Pour ce qui est de la peine, les avocats de M. Bemba demandent à ce qu’elle soit réduite du fait que ce dernier n’a ni participé aux crimes allégués, ni incité ou donné l’ordre aux auteurs des crimes et n’avait pas l’intention de les faire commettre.10

Conclusion

Les victimes de viols dans les situations de conflits sont nombreuses. Parallèlement, le contexte conflictuel dans lequel les crimes à nature sexuelle sont souvent commis, ainsi que la nature particulière même de ceux-ci peuvent rendre très difficile l’identification des acteurs de ces violations. Or, sans cette identification, la responsabilité pénale individuelle des responsables directs de ces actes telle que prévue à l’article 25 du Statut de Rome peut devenir impossible à engager. La décision en première instance portait un message lourd pour toutes les parties et les participants concernés. Pour les victimes, une décision établissant la responsabilité d’un chef militaire pour les viols commis par ses soldats représente une réelle avancée dans la lutte contre l’impunité. Pour les chefs militaires, tel que l’a souligné la procureure Fatou Bensouda, c’était un rappel quant à l’importance de prendre les mesures nécessaires pour empêcher leurs troupes de commettre des crimes, à défaut de quoi leur propre responsabilité serait engagée11. Aujourd’hui, tous attendent un verdict qui clarifiera les exigences légales et les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des chefs militaires et des supérieurs hiérarchiques.

 

Prière de citer cet article comme suit : Marilynn Rubayika, « L’Affaire Bemba: Les violences sexuelles et la responsabilité pénale des chefs militaires et des supérieurs hiérarchiques » (2018) 2 PKI Global Just J 7.

 

Marilynn RubayikaAu sujet de l’auteure

Marilynn Rubayika est actuellement stagiaire à l’Institut Philippe Kirsch. Elle est également la future stagiaire du Centre canadien pour la justice internationale pour l’année 2018-2019. Elle a obtenu sa Licence en droit civil (LL.L.) et son Juris Doctor (J.D.) de l’Université d’Ottawa.

 

 

 

References

1.   Le Procureur c Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08, Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, Version publique (21 mars 2016) au para 752, en ligne. [Bemba]
2.   Le Procureur c Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08, Ordonnance relative à la conduite des audiences devant la Chambre d’Appel, Version publique (27 novembre 2017), en ligne.
3.   Le Procureur c Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-01/08, Décision relative à la confirmation des charges, Version publique (15 juin 2009) aux paras 160, 282, en ligne.
4.   Statut de Rome article 28(a).
5.   Ibid. article 28(a)i).
6.   Ibid. article 28(a)ii)
7.   Bemba, supra note 1 au para 697.
8.   Ibid.
9.   « Affaire Bemba : audiences de la Chambre d’Appel de la CPI, 9-11 janvier 2018 »,  en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=-zK5gOJ4g28&feature=youtu.be
10.   Ibid.
11.   Trésor Kibangula, « CPI – Fatou Bensouda : « Bemba reconnu coupable, un message fort adressé à tous les chefs militaires », Jeune Afrique (21 mars 2016), en ligne : http://www.jeuneafrique.com/311980/societe/cpi-fatou-bensouda-bemba-reconnu-coupable-message-fort-adresse-a-chefs-militaires/