Le 12 janvier 2021

Important développement dans l’affaire dite « des biens mal acquis » : Arrêt de la Cour internationale de Justice dans Guinée équatoriale c. France

Par : Johanne Levasseur

Le 11 décembre 2020, la Cour internationale de Justice (ci après « la CIJ » ou « la Cour ») a rendu son arrêt dans l’affaire Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) introduite le 13 juin 2016. 

Le différend

Le différend porte essentiellement sur les modalités de désignation d’un immeuble comme « locaux de mission » au sens de l’article premier, al. i)  de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 (ci-après la « Convention de Vienne »). De cette question dépend l’application du régime de protection prévu par la Convention à ces locaux, plus particulièrement l’inviolabilité garantie à son article 22.

La France et la Guinée équatoriale sont parties à la Convention de Vienne et à son Protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends (1961). Ce dernier stipule que les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention de Vienne relèvent de la compétence obligatoire de la CIJ.   

La requête introductive d’instance portait également sur la question de savoir si l’immunité de juridiction pénale entrait dans le champ de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 (ci-après la « Convention de Palerme »), à laquelle les deux États sont parties. Aux termes de l’article 35 de la Convention de Palerme, la CIJ a compétence pour statuer sur « tout différend entre deux États Parties ou plus concernant l’interprétation ou l’application de la présente convention ». Dans son arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions préliminaires soulevées par la France, la CIJ a conclu que les règles du droit international coutumier relatives aux immunités des États et de leurs agents n’étaient pas incorporées dans l’article 4 de la Convention de Palerme (par. 96 de l’arrêt sur les exceptions préliminaires). En conséquence, cet aspect du différend ne concerne pas l’interprétation ou l’application de la Convention de Palerme et la CIJ n’a pas compétence pour connaître de cette question (par. 154 du même arrêt).

Au moment de l’introduction de la requête devant la CIJ, ni la France ni la Guinée équatoriale n’avait accepté la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice aux termes de l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice

Les faits

Le différend origine des procédures pénales initiées en 2010 devant la justice française contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue (ci-après M. Obiang), fils du président de la Guinée équatoriale et ministre d’État chargé de l’Agriculture et des Forêts de la Guinée équatoriale depuis1997. Les chefs d’accusation visent, entre autres, des actes tel que des détournements de fonds publics et abus de biens sociaux, dont les produits auraient permis l’achat de biens en France entre 2007 et 2011. La Guinée équatoriale s’est toujours opposée à ces procédures pénales.

Suite à une plainte déposée en 2008 par Transparency International France contre M. Obiang, une enquête a été ouverte, en décembre 2010, par des juges d’instruction français. L’enquête a particulièrement porté sur l’acquisition par M. Obiang de biens mobiliers de grande valeur (notamment des voitures et bijoux luxueux) et d’un immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris. Le 28 septembre et le 3 octobre 2011, dans le cadre de l’instruction de l’affaire, la justice française a saisi des biens mobiliers situés au 42 avenue Foch. Il est reconnu qu’il s’agit de biens personnels appartenant à M. Obiang.

Quelques jours avant les saisies, M. Obiang avait cédé à l’État de la Guinée équatoriale ses droits dans des sociétés dont il était le seul actionnaire, et qui étaient copropriétaires du 42 avenue Foch.

Le 4 octobre 2011, par note verbale, la Guinée équatoriale a informé le ministère français des Affaires étrangères « qu’elle dispos[ait] … d’un immeuble situé 42 avenue Foch […] qu’elle utilis[ait] pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique ». Le 11 octobre suivant, la France a répondu que cet « immeuble ne fai[sait] pas partie des locaux relevant de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale. Il relev[ait] du domaine privé et, de ce fait, du droit commun ». La Guinée équatoriale disposait déjà d'une mission diplomatique à Paris. Plusieurs notes verbales ont été échangées au cours des années, chaque État réitérant sa position.

En février 2012, d’autres saisies sont diligentées au 42 avenue Foch. Les biens saisis sont toujours des biens personnels appartenant à M. Obiang. La France souligne que le rapport des officiers de police ne fait pas état de bureaux ou de salles de travail dans l’immeuble.

Le 19 juillet 2012, un juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris a conclu que M. Obiang était le véritable propriétaire de l’immeuble sis au 42 avenue Foch, qu’il en avait la libre disposition et que son acquisition avait été financée en tout ou en partie par le produit des actes qui lui sont reprochés. L’immeuble a alors fait l’objet d’une « saisie pénale immobilière ». Le 27 juillet 2012, la Guinée équatoriale informe la France que « les services de l’Ambassade [étaient], à partir de vendredi 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise : 42 avenue Foch, Paris 16ième, immeuble qu’elle utili[sait] désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique en France ». 

En décembre 2015, la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, a rejeté un pourvoi de M. Obiang visant à mettre fin à l’instruction invoquant son immunité diplomatique en raison de son poste de ministre de l’Agriculture et des Forêts occupé de 1997 à 2012, puis de son poste de second vice-président en charge de la défense et de la sûreté à compter du 21 mai 2012. La Cour a conclu que, d’une part « les fonctions [de M. Obiang] ne sont pas celles de chef d’État, de chef du gouvernement ou de ministre des affaires étrangère, d’autre part, l’ensemble des infractions qui lui sont reprochées, le blanchiment de leur produit ayant été opéré en France, à les supposer établies, ont été commises à des fins personnelles avant son entrée dans ses fonctions actuelles, à l’époque où il exerçait les fonctions de ministre de l’agriculture et des forêts ». Le 21 juin 2016, M. Obiang a été nommé vice-président en charge de la défense et de la sûreté. 

Le 5 septembre 2016, M. Obiang a été renvoyé à son procès et, en octobre 2017, déclaré coupable des faits de blanchiment qui lui étaient reprochés. Appel a été déposé et la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 10 février 2020. Elle a confirmé la déclaration de culpabilité de M. Obiang pour des chefs de blanchiment de détournement de fonds publics, de blanchiment d’abus de confiance, et de blanchiment d’abus de biens sociaux commis en France de 1997 à octobre 2011. Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis, 30 millions d’euros d’amende et à la confiscation de l’ensemble des biens saisis, en particulier l’immeuble du 42 avenue Foch. Pourvoi en cassation devant la plus haute juridiction française a été formé par M. Obiang et l’affaire est toujours pendante. 

Cette affaire a été très largement médiatisée sous le titre de « l’affaire des biens mal acquis ».


L’arrêt de la Cour sur le fond

La question devant la Cour fut essentiellement de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut de « locaux de mission » au sens de l’article premier, al. i) de la Convention de Vienne. De cette question dépend celle de savoir si les perquisitions et saisies par la justice française des biens meubles s’y trouvant, ainsi que de la saisie de l’immeuble lui-même, constituent une violation de l’inviolabilité des locaux garantie à l’article 22 de la Convention. 

L’article1, al.i) se lit comme suit:

« Aux fins de la présente Convention, les expressions suivantes s’entendent comme il est précisé ci-dessous:
i) L’expression « locaux de la mission » s’entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission.
»

La Guinée équatoriale prétend que l’immeuble sis au 42 avenue Foch est devenu un local de mission à Paris lorsqu’elle a informé l’État accréditaire (ici la France), par sa note verbale du 4 octobre 2011, qu’elle affectait cet immeuble à des fonctions diplomatiques. Elle prétend qu’en l’absence de législation ou de pratique bien établie par les autorités françaises sur la désignation des missions diplomatiques, notamment une obligation d’obtenir son consentement avant la désignation des locaux diplomatiques, sa note verbale du 4 octobre 2011 désignant le 42 avenue Foch comme locaux diplomatiques est « concluante » et que la France ne peut s’y objecter « qu’en concertation » avec elle. 

La France prétend que « l’État accréditant [ici la Guinée équatoriale] ne peut imposer unilatéralement à l’État accréditaire son choix aux fins de sa mission diplomatique ». (par. 52 de l’arrêt). À son avis, le régime de protection de la Convention de Vienne à un immeuble particulier ne s’applique qu’aux deux conditions cumulatives suivantes: 1) que l’État accréditaire ne s’objecte pas expressément à la désignation de l’immeuble en question comme « locaux de mission » et 2) que l’immeuble soit effectivement utilisé aux fins de la mission. La France rappelle qu’elle s’est toujours objectée à la désignation du 42 avenue Foch comme « locaux de mission » de la Guinée équatoriale. 

La Cour doit donc décider si l’un des deux États peut imposer sa décision à l’autre ; si oui, lequel ; et, le cas échéant, quelles sont les conditions attachées à la décision de l’État. Si nécessaire, la Cour examinera la question de l’utilisation effective des locaux de mission (par. 75 de l’arrêt).

La Cour constate que l’article 1, al.i) de la Convention de Vienne est muet sur les modalités de désignation des locaux de mission et sur le rôle respectif de l’État accréditant et de l’État accréditaire. L’article 22 de la Convention garantissant l’inviolabilité des locaux de mission ne donne pas davantage de précisions. Après avoir rappelé les principes bien établis d’interprétation des traités, la Cour se tourne vers le contexte de ces articles ainsi que sur l’objet et le but de la Convention. La Cour opine que les travaux préparatoires de la Convention ne donnent non plus aucune indication claire en ce qui concerne la question à l’examen (par. 70 de l'arrêt).

Sur le contexte des articles 1 et 22, la Cour examine l’exigence ou non du consentement de l’État accréditaire dans d’autres articles de la Convention. Ainsi, l’article 4 assujettit le choix du chef de mission de l’État accréditant au consentement de l’État accréditaire. En revanche, la nomination, prévue à l’article 7, des membres du personnel de la mission ne requiert pas l’accord préalable. Rappelant qu’il n’existe pas de « mécanisme équivalent à celui de persona non grata pour les locaux de mission », la Cour conclut qu’accepter la désignation unilatérale de l’Etat accréditant aurait pour conséquence de mettre l’Etat accréditaire devant le choix d’accorder « la protection au bien en question contre sa volonté ou prendre la mesure radicale consistant à rompre ses relations diplomatiques avec l’État accréditant ». Même dans ce cas, il aurait l’obligation de continuer à protéger les locaux de la mission, ce qui le désavantagerait et irait « bien au-delà de ce qui est requis [pour] assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques », soit l’un des objectifs de la Convention (par. 65 de l’arrêt). La balance des intérêts des États penche donc du côté de l’État accréditaire.
 
Toujours en ce qui concerne l’objet et les buts de la Convention de Vienne, la Cour rappelle son préambule selon lequel la Convention vise à contribuer « à favoriser les relations d’amitié entre les pays » et que « le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats » (par. 66 de l’arrêt). Ce rappel n’est pas anodin et suggère que la Cour est sensible à la possibilité d’abus des privilèges diplomatiques, possibilité sur laquelle la France a insisté dans ses plaidoiries.   

La Cour conclut que la Convention de Vienne « ne peut être interprétée comme autorisant un Etat accréditant à imposer unilatéralement son choix de locaux de la mission à l’Etat accréditaire lorsque ce dernier a objecté à ce choix ». En fait, imposer à l’État accréditaire, contre sa volonté, d’assumer la protection de l’article 22 aux locaux choisis par un État accréditant, ne serait pas compatible avec l’objet de la Convention de « favoriser les relations d’amitié entre les pays » (par. 67 de l’arrêt).

Reprenant la correspondance entre les deux États, la Cour conclut que la France s’est constamment objectée à la désignation du 42 avenue Foch comme « locaux de mission ». La Cour ajoute que, puisqu’il peut s’objecter à la désignation des « locaux de mission, l’État accréditaire peut choisir les modalités de son objection. La Convention de Vienne et le droit international général étant muets sur ce point, il n’y a pas lieu d’imposer une restriction à la souveraineté de l’État accréditaire. La France n’avait pas non plus l’obligation de se concerter avec la Guinée équatoriale avant de s’objecter.

Cependant, la Cour ajoute que le pouvoir d’objection de l’État accréditaire n’est pas illimité. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle tout pouvoir discrétionnaire « doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi » (par. 73 de l’arrêt). Se fondant sur ce principe ainsi que sur l’objet et le but de la Convention, la Cour indique que l'objection doit être communiquée en temps voulu et ne doit pas être arbitraire. En outre, elle ne doit pas être discriminatoire (article 47 de la Convention de Vienne). 

L’analyse des faits amène la Cour à conclure que la France s’est constamment objectée à la désignation des locaux de mission de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris et que cette objection a été communiquée sans délai. La même analyse amène également la Cour à rejeter les allégations de la Guinée équatoriale selon lesquelles la France aurait agi de façon arbitraire, incohérente et discriminatoire.

C’est dans le cadre de l’examen du caractère arbitraire de l’objection de la France que la Cour examine l’utilisation effective de l’immeuble concerné. La Cour estime que la conclusion de la France selon laquelle l’immeuble « relevait du domaine privé […] n’était pas dépourvue de fondement » (par.107 de l’arrêt). La Guinée équatoriale, lors des saisies du 28 septembre et 3 octobre 2011, n’a fourni aux autorités françaises aucun élément indiquant que l’immeuble était utilisé comme « locaux de mission » ou que des préparatifs étaient en cours en vue d’une telle utilisation. Après avoir rappelé les déclarations inconstantes et contradictoires de la Guinée équatoriale quant à l’utilisation du 42 avenue Foch, la Cour conclut que la France possédait des renseignements suffisants, lors de la notification de la Guinée équatoriale le 4 octobre 2011, « pour fonder raisonnablement sa conclusion concernant le statut de l’immeuble » en cause (par. 109 de l’arrêt). La Cour ajoute que la France avait, en octobre 2011, un motif supplémentaire de s’objecter à la désignation de l’immeuble, à savoir le risque d’entrave au «  bon fonctionnement sa justice pénale ». L’application, au 42 avenue Foch, du régime de protection de la Convention à l’immeuble aurait en effet empêché toute saisie dans le cadre des procédures en cours. 

La Cour examine succinctement les allégations selon lesquelles la position de la France a été incohérente et discriminatoire. Elle rappelle la constance de l’objection de la France dans sa correspondance avec la Guinée équatoriale. Elle juge que les exemples fournis par cette dernière, principalement l’obtention de visas par la France au 42 avenue Foch, quatre lettres envoyées à cette adresse et la protection accordée lors de manifestations, ne démontrent pas une reconnaissance tacite par la France de cet immeuble comme « locaux de mission ».  S’agissant de la discrimination, la Cour conclut à l’absence de preuve établissant une position différente de la France envers un autre État accréditant dans des circonstances comparables (par. 112 et 115 de l’arrêt). La reconnaissance par la France d’autres « locaux de mission » de la Guinée équatoriale à Paris constitue un facteur supplémentaire à l’appui de cette conclusion.  

Enfin, notons que bien que la France ait repris, dans son mémoire et ses plaidoiries orales, les allégations d’abus de droit présentées à l’étape des exceptions préliminaires, la Cour n’en traite pas spécifiquement dans son arrêt au fond. En substance, la France a toujours allégué que l’objectif visé par la Guinée équatoriale dans les procédures devant la Cour était de soustraire M. Obiang et l’immeuble sis au 42 avenue Foch aux poursuites pénales en cours. 

En conclusion, par neuf voix contre sept, la Cour dit que « l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris n’a jamais acquis le statut de « locaux de mission » de la République de Guinée équatoriale en République française au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ». Par douze voix contre quatre, elle « déclare que la République française n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent au titre de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques » (par. 126 de l’arrêt).

Les juges dissidents

Sept juges ont rendu des opinions dissidentes ou individuelles, et un juge a fait une déclaration. À leur avis, le texte de la Convention n’accorde pas à l’État accréditaire le droit de s’objecter à la désignation par l’État accréditant de ses « locaux de mission » ou de l’assujettir à un consentement préalable. À l’exception de Madame la juge Xie qui s’appuie sur la coopération entre États et la pratique de la France relative à la désignation des « locaux de mission », les juges minoritaires appliquent le critère de l’utilisation effective des locaux aux fins de la mission (article 1,al.i): « sont utilisés aux fins de la mission »). Certains juges y incluent la période des préparatifs à cette utilisation. Pour quelques juges dissidents, l’objection à la désignation, acte unilatéral, serait contraire aux principes consacrés dans le préambule de la Convention, tel que l’égalité souveraine des États et le développement de relations amicales entre les nations. 

Ces opinions dissidentes soulèvent elles aussi des questions : par exemple, on peut se demander pourquoi la désignation unilatérale de l’État accréditant serait davantage conforme à ces principes. On peut également se demander si la désignation unilatérale par l’État accréditant est assujettie à des conditions, telle que la bonne foi, comme l’est l’objection de l’État accréditaire. De plus, la conséquence du critère de l’utilisation effective des locaux est de permettre à l’État accréditant de mettre l’État accréditaire devant le fait accompli, malgré son objection, en installant ou transférant ses services diplomatiques dans un immeuble de son choix.  Cela n’est vraisemblablement pas de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la Convention de Vienne


Conclusion

La désignation des « locaux de mission » ne relève donc pas de l’acte unilatéral de l’État accréditant mais est soumis au pouvoir discrétionnaire, cependant limité, de l’État accréditaire. La Cour s’appuie sur les mêmes principes de la Convention que citent certains juges minoritaires - tels que l’égalité souveraine des États et le développement de relations amicales entre les nations - mais arrive à une conclusion différente pour trouver l’équilibre entre les intérêts des États concernés. Les obligations de protection des « locaux de mission » qui incombent à l’État accréditaire sont appréciables et doivent peser lourd dans cette balance. En outre, la Cour a été sensible à la conséquence du régime de protection de la Convention de Vienne sur la conduite des procédures pénales en France. Par ailleurs, en assujettissant l’objection de l’État accréditaire à la règle de la bonne foi et au caractère raisonnable, la Cour prend également en compte les intérêts de l’Etat accréditant. La Cour a noté que, dans les faits, la France n’a pas cessé de reconnaître comme « locaux de mission », ceux désignés par la Guinée équatoriale avant la nouvelle désignation. La Cour a ainsi fait preuve de pragmatisme.

Nous ne connaîtrons l’issue de cette affaire que lorsque la Cour de Cassation rendra son arrêt sur les procédures pénales contre M. Obiang. La question de la saisie des biens mobiliers et de l’immeuble sis au 42 avenue Foch sera alors tranchée. Il faut cependant garder à l’esprit que si la saisie de l’immeuble était confirmée et exécutée, elle n’aurait avant tout une incidence que sur la propriété dudit immeuble.

Dans ces affaires de « biens mal acquis », une question importante est celle de la restitution des fonds détournés à la population du pays d’origine. Une loi ou un ensemble de principes encadrant la restitution pourrait la faciliter et assurer une certaine transparence. La Suisse a fait œuvre de pionnière depuis quelques années, plus particulièrement avec une loi en la matière adoptée en 2015, soit la Loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Le défi sera toujours de s’assurer que la restitution bénéficie effectivement à la population locale. Cela peut être illusoire même en cas de changement de l’équipe dirigeante à la tête du pays, a fortiori en l’absence d’un tel changement.

Citation suggérée : Johanne Levasseur, « Important développement dans l’affaire dite « des biens mal acquis » : Arrêt de la Cour internationale de Justice dans Guinée équatoriale c. France » (2021), 5 PKI Global Justice Journal 2. 

À propos de l’auteur

Johanne LevasseurJohanne Levasseur a fait la plus grande partie de sa carrière professionnelle comme avocate au sein du ministère de la Justice du Canada. Elle a travaillé plusieurs années en droit de l’immigration et des réfugiés puis en droits de la personne, à Montréal et à Ottawa. Après avoir obtenu un diplôme d’études supérieures en droit international à l’Institut des Hautes études internationales à Genève, elle s’est spécialisée en droit international des droits de la personne. Elle a aussi agi comme conseillère juridique régionale pour les Services consultatifs en droit humanitaire du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). A ce titre, elle a conseillé plusieurs autorités nationales sur les mesures de mise en œuvre du droit international humanitaire.

Image : thegiffary/Shutterstock.com