July 31, 2017
Par: Marilynn Rubayika
Il arrive que nous naviguions dans le monde juridique en tant qu’acteur sans réellement comprendre l’impact que nous pouvons avoir. Il arrive que nous poursuivions des études juridiques, voire une carrière juridique, sans réellement créer de lien entre le domaine légal et notre vécu. Il arrive qu’un domaine du droit nous semble si complet et complexe que nous ne cherchons pas à en explorer l’entièreté. Quelquefois, il en va autrement. Il arrive que nous trouvions un domaine du droit qui donne une signification à tout notre vécu. Il arrive que nous découvrions une sphère du droit dont les facettes, tant positives que négatives, deviennent une réelle inspiration. Il arrive que nous découvrions un monde qui, loin d’être parfait, nous donne envie de contribuer non seulement à sa préservation mais aussi à son développement. Pour moi, le deuxième scénario a commencé dans une expérience de bénévolat.
Étudiante à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, je me connaissais un certain intérêt pour le droit pénal. Toutefois, il ne m’était jamais venu à l’idée que mon expérience de vie, une fois mariée à ma formation académique, devait permettre à un domaine du droit particulier de prendre vie dans mon quotidien. Née dans une famille rwandaise au début des années 1990, il était inévitable que moi et les membres de ma famille connaissions, de près ou de loin, les effets néfastes des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide. Je fais partie des choyés. Je fais partie de ceux-là qui n’ont pas vécu le vif de ces atrocités ; de ceux-là qui n’ont pas eu à vivre la chute d’une nation mais qui ont pu l’observer se relever. Dans cette période de post-conflit, la communauté rwandaise a eu à faire un pas, à mon avis, méconnu par sa culture : le pas de l’expression. L’expression du vécu, mais aussi l’expression d’un futur souhaité. Témoigner. Rechercher la justice. Lutter contre la culture de l’impunité. Pardonner. Reconstruire. D’après ce qui se disait, même si la volonté y était, les tribunaux nationaux n’avaient pas la capacité de juger de tous les crimes commis en 1994. Un tribunal était créé ailleurs pour aider le Rwanda dans son chemin vers la justice. Au niveau national, on s’organisait pour emprunter ce chemin par les voies traditionnelles. Plus tard, ces institutions porteront, pour moi, un nom : le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et les tribunaux Gacaca. Les concepts du droit pénal international et de la justice transitionnelle, bien qu’ils ne portaient pas, à ma connaissance, ces noms à l’époque, étaient introduits.
C’est beaucoup plus tard que je découvrirais la grandeur et la complexité de cette sphère du droit. Par une collègue, j’apprenais que la législation canadienne permettait aux tribunaux canadiens de juger les criminels de guerre et les personnes ayant commis le crime de génocide et les crimes contre l’humanité résidant au Canada. M. Jacques Mungwarere avait été inculpé et faisait alors face à un chef d’accusation de génocide et à un chef d’accusation de crimes contre l’humanité. Ceci venait démentir une idée que je m’étais faite, une idée assez commune parmi les membres des différentes communautés survivantes. Il existe cette opinion que ceux qui n’ont pas été jugés par le TPIR et qui se trouvent hors du Rwanda ne feront jamais face à un autre système de justice. Cette idée en alimente d’autres. En effet, si tel était le cas, cela signifiait que non seulement certains criminels ne seraient jamais jugés mais aussi que certaines personnes innocentes seraient toujours soupçonnées à tort. J’apprenais que non seulement cette idée était fausse mais que ce n’était pas la première fois que les tribunaux canadiens entendaient une telle cause. J’exprimai alors mon désir de faire du bénévolat pour le Centre canadien pour la justice internationale qui suivait de près le procès. Mon rôle ? Je me rendais au tribunal, j’assistais aux procédures et je rapportais les notes qui contribueraient à l’élaboration des résumés hebdomadaires. C’est ainsi que je découvrais que la situation géographique d’un individu ne constituait pas nécessairement une limite pour la justice. Je découvrais que cette sphère du droit signifiait que non seulement le monde reconnaissait la gravité de ces crimes, mais qu’il tenait sincèrement à ce qu’ils fussent jugés et que ceux qui furent accusés à tort fussent libérés d’une telle diffamation. Je découvrais que le monopole n’appartenait pas aux institutions internationales telles que la Cour pénale internationale, mais que les nations, individuellement, pouvaient contribuer, et ce, de manière significative, à la recherche de la vérité et à la lutte contre l’impunité.
À la suite d’un procès de 26 semaines, M. Mungwarere a été déclaré non-coupable par la Cour supérieure de l’Ontario. Dans sa décision du 5 juillet 2013, l’Honorable Michel Charbonneau déclarait que bien que non convaincu par le témoignage de l’accusé, la Couronne n’avait pas su prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable1.
Je constatais que les accusations contre M. Mungwarere étaient affaiblies par une certaine contradiction qui découlait du récit des témoins. Je prenais alors conscience des différentes difficultés auxquelles faisaient face les tribunaux dans de telles affaires. Bien plus encore, je réalisais que le droit pénal international était bien plus vivant que je le croyais et qu’il y avait plusieurs ressources pour les victimes de crimes internationaux. Non seulement il y avait des ressources, mais il y avait aussi un rôle à jouer pour toute personne affectée, de près ou de loin, par ces atrocités. Je décidai de jouer le mien et de poursuivre une éducation me permettant de me concentrer sur la justice internationale. Sans pour autant nager dans l’utopie, je réalisai que la lutte contre la culture de l’impunité n’appartient pas seulement à la nation directement affectée, mais bel et bien à tous. Pour reprendre les mots de Carla Del Ponte, ancienne procureure générale des Tribunaux pénaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda : « la justice pénale internationale est aujourd’hui plus qu’une idée : son processus est désormais irréversible et constitue inexorablement un pas en avant dans la lutte contre l’impunité dans et pour l’histoire de l’Humanité2 ».
Prière de citer cet article comme suit : Marilynn Rubayika, “La justice pénale internationale: des petits pas de géants” (2017) 1 PKI Global Just J 5.
Au sujet de l’auteure
Marilynn Rubayika est actuellement stagiaire à l’Institut Philippe Kirsch. Elle est également la future stagiaire du Centre canadien pour la justice internationale pour l’année 2018-2019. Elle a obtenu sa Licence en droit civil (LL.L.) et son Juris Doctor (J.D.) de l’Université d’Ottawa.
References
1. | R. c. Jacques Mungwarere, 2013 ONCS 4594 (CanLII), http://canlii.ca/t/g2rzz | |
2. | « Justice pénale internationale en Afrique : de la CPI au rôle de l’UE », (2017), online : Nouvelle Europe http://www.nouvelle-europe.eu/justice-penale-internationale-en-afrique-…. Carla Del Ponte, La justice pénale internationale, Conférence à l’ENA, Paris, 6 juin 2003. |