le 16 juillet 2020

L’affaire Kljajic; les personnes ayant commis des violations de droit pénal international n’ont pas leur place au Canada

Par : Ion Stancu

Le 30 avril 2020, la Cour fédérale du Canda a rendu son jugement dans l’affaire Kljajic. Les questions en litige étaient de déterminer si M. Kljajic a obtenu sa citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, si en 1992, il détenait un poste de rang supérieur au sein du ministère de l’Intérieur de la Republika Srbpska (RS-MUP) et s’il était complice dans les crimes contre l’humanité commis par ce ministère contre les civils non serbes. (voir ici).

Le juge en chef Crampton a statué que M. Kljajic a acquis son statut de résident permanent et sa citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels notamment, en relation avec son poste de rang supérieur en 1992 au sein du gouvernement de la Republika Srbpska (RS) et par sa complicité dans les crimes contre l’humanité qui ont été perpétrés contre des civils non serbes par le ministère de l’Intérieur de la Republika Srbpska durant la même période. 

Ce jugement s’inscrit dans une série d’autres décisions des cours canadiennes rendues dans le cadre du Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (Programme) qui vise à empêcher que le Canada devienne un refuge pour les personnes ayant été impliquées dans la commission de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de génocide (crimes de droit pénal international). Il s’agit de la première cause en vertu de la législation canadienne récente dans laquelle deux remèdes sont demandés à la Cour, soit la révocation de la citoyenneté et l’interdiction de territoire du défendeur.

Mise en contexte : un court survol du Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

Au milieu des années 80, le Canada a entrepris les premiers pas dans la lutte contre l’impunité pour les personnes soupçonnées d’avoir été impliquées dans les crimes commis par le régime Nazi pendant la deuxième guerre mondiale. Le gouvernement a mis sur pied une commission d’enquête qui a conclu que des personnes suspectées d’avoir commis des crimes de guerre se trouvaient au Canada (voir  ici).

Le Programme est mis en œuvre par la collaboration de quatre partenaires : le ministère de l’Immigration, des réfugiés et de la citoyenneté (IRCC), le ministère de la Justice Canada, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Le Canada a adopté la législation afin de renforcer sa politique de lutte contre l’impunité pour les personnes impliquées dans la commission des crimes de droit pénal international. Ainsi, le Code criminel a été amendé pour inclure les articles 7(3.76) et 7(3.77) concernant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

En juin 2000, la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (LCCHCG) (voir ici) a été adoptée pour que la législation canadienne s’aligne avec les exigences découlant du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. En plus d’accorder la juridiction au Canada pour poursuivre les personnes ayant commis des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du génocide à l’extérieur du Canada, cette loi, qui a un effet rétrospectif (voir, art 6(1) LCCHCG) adopte une approche flexible de la définition des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du crime de génocide en faisant référence au droit international coutumier et conventionnel ainsi qu’aux principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations. Cela permet la poursuite de crimes de droit pénal international tel que définis à l’époque où ces crimes ont été commis et suit l’évolution du droit pénal international sans le besoin de procéder à des amendements législatifs. 

En novembre 2001, une nouvelle loi sur l’immigration a été adoptée : la Loi sur l’immigration et la protection de réfugiés (LIPR) (voir ici). Ainsi, des dispositions de la loi exclue l’application de la Convention des réfugiés pour les personnes qui ont été impliquées dans la commission des crimes de droit pénal international et les rendent interdits de territoire (voir art. 98 et 35(1)(a), LIPR). De même, sont interdites de territoire les personnes pour lesquelles il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles ont occupé un poste de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui, ‘‘de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre,’’ (régime désigné, voir art. 35(1)(b) LIPR). L’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) (voir ici) énumère de façon non exhaustive les personnes qui occupent un poste de rang supérieur. Il est à noter que déjà depuis 1993, l’ancienne Loi sur l’immigration contenait des dispositions concernant le régime désigné, qui étaient similaires aux celles en vigueur présentement. 

Enfin, en 2015 et en 2018, la Loi sur la citoyenneté (LC) a été amendée et, entre autres, a modifié le régime de la révocation de la citoyenneté (voir ici).Sous l’ancienne loi avant 2015, le ministre de la Citoyenneté et de l’immigration (Ministre) devait aviser la personne de son intention de lui révoquer la citoyenneté canadienne. La personne avait la possibilité de demander au Ministre de renvoyer l’affaire devant la Cour fédérale pour déterminer par prépondérance de preuve si elle a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si la Cour décidait qu’effectivement la personne avait acquis la citoyenneté par fraude, le Ministre devait préparer et envoyer un rapport au Gouverneur en conseil en lui demandant de révoquer la citoyenneté de la personne concernée. La décision du Gouverneur en conseil était sujet à la révision judiciaire par la Cour fédérale. Enfin, la décision de cette Cour pouvait faire l’objet d’un appel. 

Depuis juin 2015, le processus de révocation de la citoyenneté a été simplifié. Ainsi, si la Cour détermine par prépondérance des probabilités que la personne a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels entre autres, en relation avec la commission des crimes de droit pénal international ou parce qu’elle avait occupé un poste de rang supérieur au sein d’un régime désigné, (voir art. 10.1(1) et 10.1(4), LC) cela a pour effet la révocation de la citoyenneté de cette personne (voir art. 10.1(3) LC). L’article 10.2 de la Loi sur la citoyenneté crée une présomption selon laquelle une personne qui a acquis le statut de résident permanent par fraude ou fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels est réputée avoir acquis la citoyenneté canadienne par les mêmes moyens. 

De plus, la Cour peut déclarer la personne concernée interdite de territoire (voir art. 10.5(1) LC) entre autres, s’il y a des motifs raisonnables de croire que cette personne a été impliquée dans la commission des crimes de droit pénal international ou a occupé un poste de rang supérieur au sein d’un régime désigné. Une telle déclaration constitue une mesure de renvoi (voir art. 10.5 (3) LC). Enfin, il n’y a possibilité d’appel que si le juge certifie des questions graves de portée générale (voir art. 10.7 LC).

En résumé, les recours qui sont à la disposition du gouvernement du Canada à l’égard des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide ou d’en avoir été complices peuvent être regroupées comme suit : 

•    le refus d’accès au Canada;

•    la révocation de la citoyenneté, l’annulation du statut des personnes qui se trouvent au Canada et leur renvoi; et,

•    les poursuites criminelles.

L’article 3(1) de la Loi sur l’extradition permet aussi l’extradition vers un autre pays ou la remise à un tribunal pénal international sur demande (voir ici).

Les causes récentes dans le cadre du Programme 

Depuis bon nombre d’années, le Programme se concentre sur les crimes de droit pénal international qui ont été perpétrés dans la période contemporaine.

Ainsi, les autorités canadiennes refusent annuellement l’accès au Canada a des centaines de personnes en se basant sur des motifs raisonnables de croire que ces personnes ont été impliquées dans la commission de crimes de droit pénal international (voir : 
Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre 2011-2015 : Treizième rapport aux pages 7-9, ici).

En matière de poursuites criminels, deux personnes ont été accusées au Canada pour leur implication dans le génocide rwandais. En 2009, la Cour supérieure du Québec a déclaré Désiré Munyaneza coupable de sept chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et de génocide pour les actes qu’il a commis en 1994 dans la préfecture de Butare au Rwanda (voir ici). La Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel interjeté par l’accusé (voir ici) et la Cour Suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel (voir ici).

En 2013, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a acquitté Jacques Mungwarere des accusations de crimes contre l’humanité et de génocide commis en 1994 dans la région de Kibuye au Rwanda (voir ici) et, en 2017 la Cour fédérale a annulé la décision de la Section d’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui déclarait M. Mungwarere interdit de territoire (voir ici).

Sous la Loi sur la citoyenneté en vigueur avant juin 2015, bien que la Cour fédérale a rendu plusieurs décisions concernant des personnes impliquées dans les crimes commis par les Nazis pendant la deuxième guerre mondiale, nous nous limiterons aux décisions plus récentes. Ainsi, la Cour a déterminé que deux personnes, Branko Rogan et Celestin Halindintwali, ont acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels en relation avec leur participation dans la commission de crimes contre l’humanité respectivement en Bosnie et au Rwanda (voir ici  et ici). Subséquemment, le Gouverneur en conseil a révoqué leur citoyenneté. 

Enfin, dans l’affaire Rubuga qui a été rendue après juin 2015, la Cour fédérale a déterminé que le défendeur a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, notamment en relation avec son identité, son parcours scolaire et son emploi en dissimulant le fait que pendant le génocide rwandais de 1994, il a été sous-lieutenant dans les Forces armées rwandaises qui ont participé à l’organisation et à la perpétration du génocide au Rwanda. Il s’agit du premier jugement qui a eu pour effet de révoquer la citoyenneté canadienne d’une personne [Rubuga, paras. 67, 106-110 ] (voir ici).

L’affaire Kljajic

M. Kljajic (le défendeur) a obtenu le statut de résident permanent dans la catégorie des réfugiés en août 1995 et la citoyenneté canadienne en novembre 1999 (voir para. 22 du jugement).

Pendant le processus d’acquisition de son statut de résident permanent et de sa citoyenneté canadienne, il a omis de mentionner qu’en 1992, il a occupé le poste important de sous-secrétaire du RS-MUP. De plus, l’historique d’emploi et les renseignements relatifs à sa résidence figurant dans sa demande de résidence permanente se sont avérés faux. Entre autres, le défendeur a déclaré qu’il a travaillé comme avocat à Sarajevo entre 1980 et 1993 (voir para. 101 du jugement).

Le 29 août 2017, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ainsi que celui de la Sécurité publique et de la protection civile (les demandeurs) ont déposé une demande devant la Cour fédérale dans laquelle ils demandaient à la Cour de déclarer que M. Kljajic a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels en ce qui a trait au poste qu’il a occupé au sein du RS-MUP en 1992 mais aussi à son historique d’emploi et les lieux de sa résidence, aux termes de l’article 10.1(1) LC. Les demandeurs ont également demandé à la Cour de déclarer que M. Kljajic soit interdit de territoire puisqu’il a occupé un poste de rang supérieur au sein d’un régime désigné en plus d’avoir commis des crimes internationaux à l’extérieur du Canada aux termes de l’article 10.5 LC qui fait référence à l’article 35(1) de la LIPR. 

En termes du droit applicable, la Cour suit la ligne jurisprudentielle en la matière et confirme que le droit substantif est régi par la Loi sur l’immigration en vigueur en 1995, au moment de l’acquisition de son statut de résident permanent au Canada, et par la Loi sur la citoyenneté en vigueur en 1999 quand le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne (voir paras. 32-36 du jugement). Les raisons pour la révocation de la citoyenneté et la non admissibilité au Canada des personnes sous l’ancienne loi sont similaires à celles des dispositions légales en vigueur présentement. 

Par ailleurs, les droits procéduraux sont régis par la loi en vigueur au moment où les demandeurs ont signifié et déposé leur déclaration, soit le 29 août 2017 (voir paras. 41-42 du jugement).

Le fardeau de la preuve est différent pour chacun de remèdes demandés. Pour la révocation de la citoyenneté, il faut démontrer par prépondérance de preuve que le défendeur l’a acquis par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Les demandeurs n’ont pas à démontrer que si le demandeur avait dit la vérité, il aurait été déclaré interdit de territoire par les autorités d’immigration canadiennes, mais plutôt que les fausses déclarations ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiel a eu pour effet d’écarter d’autres enquêtes (para. 93-94 du jugement).

En revanche, pour l’interdiction de territoire, le fardeau est moins exigeant, soit ‘‘des motifs raisonnables de croire’’ que le défendeur a occupé un poste de rang supérieur au sein d’un régime désigné et qu’il a commis des crimes internationaux (paras. 132, 154 du jugement).

La Cour a fait une revue de la jurisprudence concernant la détermination du poste de rang supérieur. Ainsi, il faut démontrer que le gouvernement en question est un gouvernement défini aux alinéas 35(1)b) de la LIPR et que la personne en question occupait un poste de « haut fonctionnaire » tel que défini à l’article 16 du Règlement (voir para. 132 du jugement). Par ailleurs, si le poste de haut fonctionnaire n’est pas énuméré à l’article 16 du Règlement, il faut prouver que la personne visée était en mesure ‘‘d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages.’’ (voir para. 135 du jugement).

De même, pour l’interdiction de territoire, la Cour prend en considération le droit relatif aux crimes contre l’humanité tel que développé par la jurisprudence (voir para. 151-162 du jugement). Ainsi, pour prouver la commission des crimes contre l’humanité, il faut prouver les éléments suivants :

1. un acte prohibé énuméré a été commis (ce qui exige de démontrer que l’accusé a commis l’acte criminel et qu’il avait l’intention criminelle requise) ; 

2. l’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ; 

3. l’attaque était dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes ; et,

4. l’auteur de l’acte prohibé était au courant de l’attaque et savait que son acte s’inscrirait dans le cadre de cette attaque ou a couru le risque qu’il s’y inscrive (voir para. 119 de l’arrêt Mugesera, ici).

En matière de complicité, (voir paras. 163-165 du jugement) la Cour fait référence à l’arrêt Ezokola, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que le concept de participation personnelle et consciente, développé antérieurement par la Cour fédérale et qui permettait l’inclusion de la complicité par association, ne correspond pas au développement du droit pénal international. Ainsi, la Cour a statué que mis à part les autres formes de complicité, tel l’aide et l’encouragement, la personne qui a « volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe, ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe » est complice (voir Ezokola, ici, paras. 8, 9).

Ainsi, pour déterminer si le défendeur est complice dans la commission des crimes, la Cour prend en considération les six facteurs (voir paras. 165, 255 du jugement) de l’arrêt Ezokola, soit :

1.    la taille et la nature de l’organisation; 
2.    la section de l’organisation à laquelle la personne était le plus directement associée; 
3.    les fonctions et les activités de la personne au sein de l’organisation; 
4.    le poste ou le grade de la personne au sein de l’organisation; 
5.    la durée de l’appartenance de la personne à l’organisation (surtout après qu’elle a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel); et,
6.    le mode de recrutement de la personne et la possibilité qu’elle a eue ou non de quitter l’organisation.

Enfin, la Cour réfère à la contrainte (paras. 166-167 du jugement) comme un moyen de défense pour la commission d’une infraction et à ses sept facteurs tel que développés par la jurisprudence: 

1.    il existait des menaces explicites ou implicites de mort ou de lésions corporelles proférées contre la personne ou un tiers; 
2.    la personne croyait, pour des motifs raisonnables, que les menaces seraient mises à exécution; 
3.    il n’existait aucun moyen de se soustraire sans danger à la menace (selon le point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire); 
4.    il existait un lien temporel étroit entre les menaces proférées et le préjudice qu’on menace de causer; 
5.    le préjudice qu’on a menacé de causer à la personne était au moins égal au préjudice que la personne (ou ses complices) a infligé; 
6.    la personne s’est comportée d’une manière conforme aux attentes de la société à l’égard d’une personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire; et,
7.    la personne ne s’est pas placée de son plein gré dans une situation où il existait un risque de faire l’objet de contrainte ou de menaces de la part d’autres membres d’un complot ou d’une association, en vue de la contraindre à perpétrer une infraction (voir para. 119 de l’arrêt Ryan, ici) .

La Cour souligne le fait que la proportionnalité entre les menaces et les crimes commis est une ‘‘composante fondamentale’’ de la défense de contrainte (para. 168 du jugement).

Sur le plan factuel, en plus de la preuve documentaire, trois personnes ont témoigné pour les demandeurs et quatre autres pour la défense, incluant M. Kljajic. 

Les parties ont convenus que les témoins de la défense ainsi que l’un des témoins des demandeurs témoignent par vidéoconférence à partir de l’ambassade canadienne à Belgrade. Cependant, le défendeur a soumis que ces témoins devaient être assermentés conformément au droit serbe, alors que les demandeurs ont demandé que ceux-ci soit assermentés selon les règles prévues par le droit canadien. 

La Cour a donné raison aux arguments des demandeurs et les témoins ont été assermentés par le consul de l’ambassade du Canada à Belgrade et aussi par vidéoconférence par le greffier de la Cour. Le juge en chef souligne qu’il a eu la possibilité de voir les témoins par vidéoconférence et d’apprécier leur crédibilité. Aussi, en réponse aux arguments du défendeur à l’effet qu’en absence de l’assermentation en vertu du droit serbe, les témoins ne se sentirons pas exposés à des conséquences légales en cas de parjure, la Cour a souligné qu’à toute fin pratique, il n’y a pas de différence avec la situation où les témoins auraient témoigné au Canada (voir paras. 68-70 du jugement).

En tant que témoin pour les demandeurs, Brian Casey, ancien conseiller et gestionnaire du programme d’immigration à l’ambassade en 1992 au moment où le défendeur a fait sa demande de résidence permanente au Canada, a affirmé que le fait que le défendeur a dissimulé son poste de sous-secrétaire au sein du RS-MUP dans sa demande de résidence permanente a eu pour effet de prévenir des enquêtes plus poussées relatives à cette demande (voir paras. 68-70 du jugement).

Dr. Christian Nielsen, un expert reconnu dans l’histoire du conflit en Bosnie et du rôle des forces du RS-MUP dans ce conflit, a préparé un rapport et a témoigné sur le contexte de la guerre en Bosnie, sur les crimes commis par le RS-MUP et le rôle du défendeur au sein de cette organisation en 1992 (voir paras 66-67 du jugement).

Milorad Davidovic, un ancien policier et commandant de poste à Bijelina a témoigné sur le rôle et les responsabilités du défendeur au sein du RS-MUP. Il a aussi exprimé son point de vue en relation avec la connaissance du défendeur des crimes commis par cette organisation contre la population musulmane en 1992 (voir paras. 72-73 du jugement). La Cour a trouvé le témoignage de chacun des trois témoins ‘‘franc et fiable’’ (voir paras. 67, 70, 74 du jugement). 

Pour la défense, Dragomir Andan, Radomir Njegus et Dragan Kijac ont témoignés notamment sur la structure du RS-MUP, le rôle du défendeur au sein de cette structure et sur les difficultés de communication en 1992. La Cour a trouvé que leur témoignage est fondé sur du ouï-dire par endroits, manque de fiabilité et de crédibilité et est ‘‘incompatible avec d’autres éléments de preuve’’ (voir paras. 77, 78, 88, 91). 

La Cour conclut que le RS-MUP a commis des crimes contre l’humanité en 1992 sur le territoire de la RS, notamment l’épuration ethnique de la population non-serbe, l’arrestation des civils et leur détention dans des camps de détention où ils étaient assassinés ou soumis à de mauvais traitements, l’expulsion forcée de civils et le pillage de leurs biens. Le défendeur n’avait pas contesté cette partie (voir paras. 145, 182 du jugement). 

Le défendeur motive qu’il a omis d’indiquer son poste au sein du RS-MUP craignant que le ministre du RS-MUP, M. Stanisic, ou des groupes paramilitaires s’en prennent à lui et à sa famille. Il affirme aussi qu’il avait peur, suite à une fuite de l’ambassade canadienne, qu’il soit arrêté à la sortie de l’ambassade (voir paras. 114-115 du jugement). La Cour n’accorde pas de crédibilité à ces arguments et conclut, au contraire, que le fait d’avoir dissimulé non seulement son passé avec RS-MUP, mais aussi de l’information concernant sa résidence indique que le défendeur avait l’intention de tromper les autorités canadiennes en immigration (voir paras. 118, 123 du jugement).

Le défendeur admet qu’il était sous-secrétaire au sein du RS-MUP (voir para. 216 du jugement) mais prétend qu’il n’avait aucun pouvoir réel ni influence (voir para. 147 du jugement). De plus, il affirme qu’il n’avait pas la connaissance des crimes commis et que les communications au sein de l’organisation étaient quasi-inexistantes (voir para. 174 du jugement). La Cour a trouvé son témoignage incompatible avec l’ensemble de la preuve. Ainsi, la Cour est satisfaite que le défendeur a participé activement à l’établissement et au fonctionnement du RS-MUP, qu’il a présidé des réunions et pris des décisions à la place du ministre Stanisic lorsque celui-ci était absent. Il traitait aussi directement avec des hauts-fonctionnaires de la Serbie et aussi avec le Président Karadzic et le premier ministre de la RS (voir paras. 149, 187, 188 du jugement). 

La Cour ne croit pas non plus le défendeur quand il dit qu’il n’était pas au courant des centres de détention du RS-MUP et des crimes contre l’humanité commis par cette organisation (voir para. 202 du jugement). 

En faisant l’analyse factuelle de la preuve à la lumière des six facteurs de l’arrêt Ezokola, la Cour conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le défendeur a rejoint volontairement le RS-MUP, qu’il savait vraisemblablement que cette organisation a commis des crimes contre l’humanité pendant la période pendant laquelle il a été sous-secrétaire et qu’il n’a rien fait pour prévenir la commission de ces crimes (voir paras. 178, 219, 227, 252 du jugement). La Cour ajoute que même si le défendeur n’était pas au courant de certains crimes commis par le RS-MUP, il est complice des crimes commis par cette organisation ‘‘étant donné que sa contribution au dessein criminel du RS-MUP comportait un élément d’insouciance considérable’’ (voir para. 214 du jugement). 

Enfin, la Cour conclut que le défendeur n’a pas agi sous la contrainte puisque la preuve ne démontre pas de menaces ou de coercition à son endroit. En revanche, le défendeur a voyagé à plusieurs reprises à Belgrade donc il aurait pu quitter le RS-MUP s’il l’avait voulu (voir paras. 244, 246, 251, 252, du jugement).

En conclusion, la Cour statue par prépondérance des probabilités que le défendeur a acquis son statut de résident permanent et sa citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels concernant son poste de sous-secrétaire du RS-MUP, ses lieux de travail et ses adresses en 1992 (voir paras. 104, 129, 259, 260 du jugement).

La Cour déclare aussi que le défendeur est interdit de territoire puisqu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il a occupé un poste de rang supérieur au sein du gouvernement de la RS qui a commis des crimes contre l’humanité et qu’il est complice des crimes commis par le RS-MUP contre des civils non-serbes (voir paras. 261, 262 du jugement).

Conclusion

Le gouvernement canadien continue de prendre toutes les mesures nécessaires afin de s’assurer que les personnes ayant été impliquées dans la commission de crimes de droit pénal international ne trouvent pas refuge au Canada. Avec une législation bien adaptée aux développements récents du droit international en la matière, et qui permet le recours approprié à chaque cas, le Canada démontre son leadership et sa détermination pour combattre l’impunité. L’affaire Kljajic est un exemple que le passage du temps n’atténue en rien le rôle des personnes impliquées dans la commission des crimes de droit pénal international ou leur participation au dessein criminel des organisations ayant perpétrés ce genre des crimes. 
 
Prière de citer cet article comme suit : Ion Stancu, « L’affaire Kljajic; les personnes ayant commis des violations de droit pénal international n’ont pas leur place au Canada » (2020), 4 PKI Global Justice Journal 26

À propos de l’auteur

Ion StancuL’auteur est avocat à la Section des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre depuis 2001. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes et ne représente pas nécessairement la position du Ministère de la Justice ou du gouvernement du Canada. L’auteur remercie Joseph Rikhof pour son soutien et ses conseils.